Voici quelques extraits du beau témoignage d’une bénédictine Sœur Loyse Morard prieure du monastère de Ermeton sur Biert, à une vingtaine de kms de Namur, sur la lecture de la Bible sous le titre : « Lire la bible sans méthode ? » (Extrait de Interface, Rédaction I&B Maredsous, 4e Trim 2009, p2-3).
« Dans les milieux religieux ou parmi les clercs, nombreux sont ceux qui, depuis des générations, ne se nourrissent pas vraiment de la Bible mais recourent plutôt aux ouvrages dits de spiritualité dans l’espoir de s’y sentir rejoints dans leur vie personnelle et d’y goûter un peu de saveur. Mais cette eau là qui semble couler de source ne tarde pas à tarir ; les ouvrages de spiritualité les meilleurs renvoyant eux mêmes à la Bible où ils s’enracinent, rien ne remplacera jamais, pour personne, la rencontre directe avec la parole de Dieu, inépuisable».
Pourquoi multiplier les intermédiaires ?
Chacun n’a-t-il pas le droit et le devoir d’accéder à cette parole, librement, humblement, quotidiennement ?
Aucune méthode d’investigation ne permettra jamais d’atteindre au cœur d’une personne qui par définition échappe toujours à l’emprise de quiconque. Il en va de même avec la Bible. On ne peut jamais prétendre savoir tout de l’autre, l’avoir compris…
La sœur prend alors la comparaison de l’amour : « il faut écouter, regarder l’autre, s’exposer aussi à son attention, et cela passe aussi par les mille et un chemins, souvent imprévisibles ou inattendus, que peut ouvrir la fréquentation quotidienne. Tous les vrais amoureux le savent, ils se rient des méthodes ; l’amour les transcendant toutes, il en invente sans cesse de nouvelles… Il crée lui même ses voies d’approche…il n’y a pas de méthode pour aimer ».
Il ignore ce qu’il cherche, il reçoit plutôt ; attentif à tout, curieux de chaque détail, en quête de sens plus que de certitudes… Ce sens qu’il découvre peu à peu lui parle tout à la fois de Dieu et de lui même…sans jamais enfermer ni Dieu ni lui même dans une formule définitive, qu’elle qu’elle soit, car aucun homme n’est achevé et Dieu est toujours au delà de ce qui est dit de lui, fut-ce par sa propre parole. Prétendre tout comprendre d’un texte- en tout cas du texte biblique- c’est le réduire à un simple discours objectif, c’est en faire une idole.
Le scruter avec attention, s’intéresser à lui sous toutes ses faces et de toutes les manières, le tourner et le retourner dans sa mémoire, dans son cœur, le copier, le traduire, y revenir vingt fois après l’avoir oublié, l’approcher par toutes les voies possibles, en usant de n’importe quelle méthode- car aucune ne suffit et toutes sont bonnes- c’est sortir de soi, mettre son existence à nu, s’exposer, prendre le risque d’une découverte capable de faire voler en éclats les idées toutes faites les plus arrêtées …
- une ascèse parce qu’elle exige une rigueur, une honnêteté scrupuleuse à l’égard de la lettre du texte tel qu’il nous est donné ; elle demande à chacun d’aller jusqu’aux limites de ses propres possibilités;
- elle est aussi un art, parce qu’elle libère le sens, qu’elle est créatrice ; elle suscite toujours de nouvelles interprétations, plus profondes, plus actuelles. Elle invite inlassablement à progresser. Jamais satisfaite de ses propres acquis, elle conduit sans cesse plus loin.
Cette histoire habitée par un souffle qui l’oriente, nous oriente avec elle, à l’infini. Un dévoilement s’opère et de Dieu et de l’homme. Evénements et personnages nous acheminent peu à peu vers celui qui est l’un et l’autre : Jésus de Nazareth, annoncé, vivant parmi nous, mort ressuscité, monté au ciel et désormais toujours à l’horizon d’une recherche qui n’en finit pas.
La vraie lecture — la véritable lectio divina — incarne et nourrit cette recherche. Son effort, radical et totalitaire, ne peut se limiter à l’application d’une méthode. On a pu la comparer à une caresse, toujours reprise, délicieuse, qui effleure, respecte, enveloppe et découvre ce quelle touche, sans jamais s’en emparer. Une telle lecture porte bien son nom : elle est divine.