Brigitte est aumônière de Maison d’Arrêt pour hommes de Bois-d’Arcy depuis 2008.
Elle nous présente sa mission.
Depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, il a été décrété que toute personne se trouvant dans un lieu « fermé » tel qu’un hôpital, un internat, une caserne ou une prison, devait être en mesure de pratiquer un culte et que les aumôniers en charge de cette fonction le faisaient dans un esprit de laïcité reconnu.
Les lieux de détention comportent donc des aumôneries musulmanes, juives, protestantes et catholiques, dont les représentants nationaux sont appelés à se réunir périodiquement avec les instances gouvernementales référentes.
Chaque aumônier doit être agréé par l’administration pénitentiaire. En ce qui concerne les aumôniers catholiques, ils reçoivent une lettre de mission de leur évêque.
Une maison d’arrêt, c’est la première étape parfois d’un long parcours. On y trouve d’abord des prévenus en attente d’un jugement. Pour les procès d’Assises, cette attente peut durer 2 ou 3 ans. Ensuite on y trouve des condamnés à de courtes peines. Enfin, on y trouve les condamnés qui attendent leur « transfert » vers un centre de détention ou une centrale. Sont donc réunis dans un même lieu et dans une promiscuité source de nombreux problèmes des personnes très différentes. Certains travaillent comme « auxiliaires » dans les différents services de la prison, d’autres dans des ateliers, tous pour gagner un peu d’argent. Mais le travail manque terriblement.
La prison n’est pas tout à fait "gratuite". Il faut d’abord payer l’abonnement à la télévision, sans laquelle les journées sont très longues, surtout pour ceux qui n’aiment pas la lecture. Si l’on veut écrire, il faut des timbres et du papier. Beaucoup ont besoin de cigarettes ou de tabac. Tous ne sont pas habillés par leurs familles. Enfin, il est bon d’améliorer l’ordinaire avec du café, du chocolat, du saucisson, du fromage, des gâteaux, etc. Ils doivent donc "cantiner" pour s’approvisionner auprès de la prison. Ils cuisinent ainsi sur des chaufferettes bricolées avec des canettes de boisson et de l’huile. Et c’est là qu’on assiste à d’émouvants gestes de solidarité, les plus nantis cantinant pour les autres ou faisant passer par l’intermédiaire d’un surveillant plus humain une part de repas amélioré. Il faut aussi mentionner l’action très importante du Secours Catholique offrant un petit pécule (remboursable), l’abonnement à la télévision ou des vêtements aux indigents.
Les hommes ont également la possibilité de faire des études d'alphabétisation ou un cursus plus poussé, ou encore d’apprendre le français. Selon les lieux, il existe des ateliers de poterie, de dessin, de musique. Ponctuellement, il leur est proposé un atelier de théâtre ou de rap ou de cinéma. Mais les distractions sont rares. Une promenade dans la cour le matin, une autre l’après-midi. Les journées sont longues dans 9m2 avec souvent un codétenu. Certains se sont découverts des talents de peintre ou d’écrivain. D’autres lisent. Mais pour beaucoup il n’y a que la télévision. Heureux ceux qui ont des parloirs (visites d’amis ou de proches) mais ce n’est pas le cas de tous.
L’aumônerie Catholique à Bois-d’Arcy est un élément de l’Aumônerie Nationale. Nous suivons donc les orientations nationales qui nous permettent de garder un cap commun. « Ensemble, envoyés en détention pour rencontrer, réfléchir et célébrer. » Nous sommes donc particulièrement encadrés grâce à des réunions régionales ou nationales, sans parler des relectures en équipe, formations spirituelles, psychologiques, humaines, sociologiques et congrès nationaux (le prochain en 2012 sur la part de l’aumônerie dans la mission de réinsertion).
Nous sommes solidaires de tous les intervenants en détention, salariés ou bénévoles. Notre objectif est commun : remettre l’homme debout, lui permettre de se réinsérer dans une société dont il s’est exclu ou qui l’a exclu, lui redonner la dignité perdue, écouter, partager, être là aux côtés de la personne et pas forcément « du côté », car nous ne sommes pas là pour juger, pour prendre parti envers le coupable ou la victime. Nous ne sommes pas naïfs mais nous sommes confiants, leur vérité n’est pas forcément LA vérité mais nous essayons de comprendre.
Notre objectif est commun, nous croyons tous en l’homme, et en ses capacités de redressement. Notre spécificité est d’abord la gratuité de nos interventions et je peux vous assurer que les détenus y sont très sensibles. Mais cette foi en l’homme est chez nous fondée sur notre foi en Dieu, notre créateur à tous, qui nous amène donc à nous considérer tous comme frères et à témoigner d’un amour inconditionnel de ce Dieu Père, quels que soient nos actes.
L’équipe de Bois-d’Arcy comporte 6 aumôniers, hommes et femmes, dont un prêtre (ce qui n’est pas obligatoire). Quatre d’entre nous effectuent des visites individuelles en cellule, deux animent des groupes. Nous participons tous aux messes du dimanche et aux célébrations particulières. Il est important de souligner que tous les « arrivants » reçoivent la visite de l’un de nous et que ce temps souvent d’écoute simplement peut apporter beaucoup à ces hommes en état de choc pour la plupart.
Chaque dimanche la direction nous autorise à inscrire 80 détenus à la messe. Ils sont en moyenne 70 qui se lèvent au lieu de traîner au lit, qui zappent la télé du dimanche matin. 70 sur 700, c’est une belle assistance pour une paroisse ! C’est une assemblée très cosmopolite, slaves, asiatiques, sud-américains, européens, des convaincus… et des personnes en recherche ! Il n’y règne pas toujours un silence de cathédrale, mais il s’y passe des choses très fortes. Les messes sont animées par des groupes venant de l’extérieur, groupes de jeunes pour la plupart.
Chaque vendredi, j’anime un groupe de chorale. C’est un bien grand mot pour ce type de rencontre ! Il faut dire que j’ai été recrutée pour mes aptitudes à chanter !! Je n’avais pas mesuré l’ampleur de la tâche… et des gratifications qu’elle m’apporterait. C’est un moment de partage, d’harmonie constituée de nos différences. Les bienfaits du « chanter ensemble » ! Les gars parlent d’une parenthèse, d’un moment de paix et souvent de franche détente. Ils oublient les soucis l’espace d’un instant. Et c’est un lieu où on apprend la tolérance car tout le monde ne chante pas juste, loin de là ! Mais on a tellement de plaisir, moi la première, à libérer ces sons qui sortent de notre gorge, plus faciles que bien des mots. On « s’assemble », le guitariste de passage, le batteur improvisé. On a même composé ensemble un chant ! Et, chose peu courante dans les paroisses habituelles, on prend le temps de comprendre les paroles que l’on chante !
Cerise sur le gâteau nous avons aussi tout un répertoire profane, de Michel Fugain à Johnny Halliday. Seule condition, que ces chansons aient un sens « humain » !
Nous proposons aussi chaque vendredi un temps de partage biblique.
Certains détenus y sont très fidèles, d’autres sont plus fantaisistes, mais nous n’excluons jamais les absents ! Pendant une heure et demie, nous commentons un passage de la Bible ou nous mettons en commun nos réflexions sur des thèmes, la violence, la foi, la femme dans la bible, la sainteté... Nos réunions commencent toujours par un partage des nouvelles des uns et des autres ou par les émissions de télévision de la semaine qui les ont frappés. C’est l’occasion de parler sans censure, de leur vie en prison, de leurs problèmes.
Rien ne sortira de cette pièce. Point n’est besoin pour nous animateurs d’exprimer la voix de la « sagesse » si l’on peut dire, cette sagesse émane du groupe même, qui joue un rôle modérateur. La difficulté pour l’animateur d’un tel groupe est de se retrouver en face d’un groupe très hétéroclite, âges (de 20 à 70 ans), origines sociales et culturelles, parcours, niveaux intellectuels. Rares sont les conflits, chacun s’exprime et est tenu de respecter l’autre lorsqu’il prend la parole. Personne ne détient la vérité, il n’y a que « des aînés dans la foi » et chacun est libre sur son chemin.
Découverte totale pour certains qui ont plongé dans la lecture de la Bible, un peu par inadvertance, parce qu’on leur en avait donné une à leur arrivée, ou, qu’ils en ont trouvé une dans la cellule et qu’ils n’avaient rien d’autre à lire ! Questionner, c’est chercher et avancer… apprendre l’écoute, la tolérance, l’humilité pour les plus savants. J’insiste bien, ce n’est pas du catéchisme ou du prosélytisme. C’est un temps de témoignage et de partage. Aussi… de prière ! Parce qu’il règne une impression de paix dans cette petite pièce isolée de l’agitation et du bruit permanent au sein de la détention
C’est une mission parfois difficile, mais jamais décourageante. Il faut apprendre à développer de la sympathie mais savoir garder une distance affective. Nous ne sommes que des bornes le long d’un chemin. L’amitié réelle, gratuite, sincère est appelée à disparaître, du jour au lendemain ! Un détenu ne sait jamais quand il sera transféré, pas de possibilité d’au revoir. Certains écrivent, une fois libérés, ou dans d’autres centres de détention… beaucoup remercient… Mais nombreux préfèrent oublier ce passage de leur vie… Il faut passer la main à des relais dehors, notre mission s’arrête à la porte de la prison, il nous est interdit de poursuivre ces relations. On a semé, mais la vie à l’extérieur reprendra ses droits… Combien reviennent hélas !
Mission Ô combien gratifiante ! On n’a jamais fini de découvrir l’homme et le trésor qu’il peut cacher sous un tas de fumier. Mission qui donne un sens à notre vie de chrétien. Mission où je croyais apporter quelque chose à l’autre… alors que c’est lui qui m’apporte ! Mission où je réalise pleinement que travailler en équipe est épanouissant pour l’individu, travailler avec l’administration pénitentiaire, avec les divers intervenants des autres aumôneries, de l’Education Nationale, des services sociaux, avec les associations présentes à la prison, chacun suivant la mission qui lui est propre, mais tous solidaires. Chacun ainsi contribue à faire que l’homme écarté pour un temps retrouve une place dans notre société, le goût d’y être acteur et de ne jamais revenir en prison. Chacun contribue à changer le regard de la société avide de sécurité sur l’humanité de ces personnes